Il y a un chant endormi en toutes choses qui rêvent sans fin, et le monde se mettra à chanter si tu trouves le maître-mot.
Joachim von Eichendorff
Telle est la pierre, dit Yves Bonnefoy. Je ne puis me pencher sur elle sans la reconnaître insondable, et cet abîme de plénitude, cette nuit que recouvre une lumière éternelle, c’est pour moi le réel exemplairement.
Nous avons contemplé les pierres, nous les avons observées en les dessinant, certains ont pris leur empreinte.
Nous avons détaillé leurs surfaces, projeté sur leurs peau x nos rêveries, nos paysages intérieurs, nos idées incongrues, nos interrogations, nos sentiments.
Une grande variété de gravures en est née, explorant quelques uns des innombrables moyens de la gravure, chantant chacune sa propre chanson.
Ainsi, chacun de nous, suivant le fil propre de son travail « roule sa pierre », « taille sa pierre »,
comme parlent les alchimistes de l’œuvre se faisant.
Pour raconter l’atelier gravure, il faut d’abord parler de ses participants, Mady, Marc, Anselm, Dominique, Nicolas, Claire, Konrad, Line et bien sûr Sylvie qui depuis de nombreuses années fait vivre ce lieu. Le groupe se rassemble tous les samedis rue Fond du Fourneau pour partager ensemble leurs impressions ou leurs interrogations accompagnées par le son feutré de la musique classique. Autour d’une tarte ou d’un gâteau, à 16h la discussion remplace la concentration du travail. Pour certains, c’est cet esprit de belle convivialité qui rend l’atelier unique en son genre. Si l’un nous confie avec humour qu’il cherchait au départ un moyen de faire des photocopies, l’œuvre de Félicien Rops lui a donné envie de creuser cette histoire davantage. Une autre nous explique qu’elle est arrivée là par la sculpture, par la taille de la matière : bois, lino voire même la pierre si dure à tailler. Un troisième explique : c’est la recherche d’un passé révolu, l’émoi suscité par la photographie d’avant le numérique, quand l’image apparaissait dans la chambre noire, qui l’a amené à venir s’essayer à la taille et retrouver sous la presse la magie de l’inattendu.
Sous prétexte qu’elle permet la reproduction en nombre du dessin, la gravure est un art resté un temps plus confidentiel. Pourtant, à l’heure de la surenchère marchande des œuvres d’art, aujourd’hui c’est justement à travers ses possibles infinis qu’elle y trouve sa richesse : un art accessible et généreux. Dans la gravure, il y a un mystère et une sensualité, un vocabulaire fait de pointe sèche et de taille douce, d’acide et d’encrage, de xylographie ou d’aquatinte, de manière noire et de lumière. C’est aussi un peu se mettre dans les pas de certains maîtres, étudiés parfois en histoire de l’art : Goya, Dürer ou encore Alechinski. Se rappeler Chantal qui avant veillait sur l’atelier. C’est sculpter la matrice, avec précaution, cheminer avec elle, puis enfin célébrer la surprise provoquée par l’image renversée, un détail qui apparaît, un événement heureux rendu sur le papier. »
Dans le cadre de la Fête de le Gravure, à l'occasion de la Triennale internationale de Gravure contemporaine
Brochure en ligne de la Fête de la Gravure à retrouver ici.
OYOU, Place de Grand-Marchin, 4 à 4570 Marchin
Du 17 janvier au 16 février 2025, les mercredi, samedi et dimanche de 14h à 18h
Vernissage vendredi 17 janvier 2025 à partir de 18h
Entrée libre
Infos : anne@oyou.be
Paroles des graveurs et graveuses de l'Atelier Gravure de OYOU :
Je grave pour explorer mon rapport à la vie, à ce que j'ignore. C'est une sorte d'archéologie. J'aime plonger dans l'alchimie de l'eau-forte. Une procédure « périlleuse », dont une image s'imposera, à travers bien des étapes, bien des états, de la matière lentement corrodée, transformée. Ce n'est pas un truc direct, qui se fait d'un coup. C'est un processus qui apprend la patience, l'attention, la disponibilité. Aussi, ce procédé me révèle, reflète dans la matière mes invisibles transformations intérieures. Comme une résonance entre dedans et dehors.
Sylvie C. |
« J’ai une pierre dans ma chaussure qui me raconte… » La pierre roulait depuis quelques lunes, une petite pierre, elle habitait ma chaussure. Elle titillait le moelleux du gras de mon pied gauche… Je percevais sa présence non pas comme une empêcheuse d’aller ma route mais, plutôt comme une messagère. Dans le lointain, cela n’avait pas encore de forme pour appeler les mots…je sentais toutefois qu’elle avait une intention, quelque chose à réveiller... Téméraire, ne lâchant pas sa prise, elle voyageait de-ci, de-là, telle une pélerine avec son bâton, dans la géographie de ma peau. La magie de la vie travaille à son ouvrage… Et le souvenir d’une expérience lointaine s’est ramené en surface…. - « Je touche, je sens, je respire un morceau de lino, je tiens une gouge et ‘tchack’ le lino est mordu d’une belle entaille… » - Un bien-être m’envahit, me gonfle la poitrine, je suis en joie ! - Ah ! C’est ça ! ce dont maintenant, j’ai besoin pour m’écrire !
Car je suis un pays de récits Portés en bandoulière Gravés dans ma chair Mon cœur est un tendre Si, du bout du doigt Vous l’effleurez Il en restera des traces
Alors, ici à l’atelier de gravure Je creuse, je caresse, je grave, j’extirpe, J’enduis, j’arrache, j’enlumine, Je griffe, je raconte, je paume, je mords, j’effleure Ce que je porte en moi Ce qui gonfle mon travail d’être au monde Les courbes, les nœuds, les pleins, les bleus, les turbulences, les joies… Qui, une fois tissés, intimement écrasés entre l’encre et le papier Façonnent la robe de ma nouvelle naissance
Dominique Deville |
« L’esprit sans la main reste vain... et inversement ! » La gravure, bien plus que d’autres formes artistiques, grâce à ses exigences spécifiques, entretient en permanence le dialogue entre le bouillonnement des idées et les étapes de leurs réalisations. L’une ne peut que s’affirmer face aux impératifs de l’autre. Je recherche l’accident technique, les provocations à la matière, grâce aux dérives qu’elles occasionnent, réajuste ma pensée et débouche sur une solution graphique en évolution constante. Cette recherche incessante entre défaut et perfection, entre matière et esprit, est à la base de mon plaisir de graver.
Anselm |
Je pointe sec. Je taille doux. J'aquatinte. Je crie eau et fort que je te kiffe grave gravure.
Winko |
Pourquoi la gravure ? Parce que pour moi, la représentation, la création passe par la matière, par les outils, le lino, le bois, le tétrapack, les gouges, les pointes, que j'aime ça, ce dialogue entre moi et la matière, ce temps, cet ailleurs, cet espace..... c'est surtout ça qui compte, ce travail, ce cheminement, bien plus que le résultat.
Claire |